L’inclusion financière n’est pas un concept abstrait à Abidjan. C’est le bruit du marché d’Adjamé. C’est la complexité de la comptabilité pour une vendeuse de “garba” qui gère son stock à la voix et compte ses profits de tête. Pour cette population, qui constitue l’épine dorsale de notre économie, les applications FinTech traditionnelles, basées sur le texte et des concepts bancaires complexes, sont souvent des barrières plutôt que des aides.
C’est de ce constat, à la fois simple et brutal, qu’est né le projet “SôSô” (qui signifie “compter” ou “discuter” en langue dioula). Ce projet n’est pas une simulation académique. C’est un prototype fonctionnel, une application mobile conçue pour et avec les commerçants du secteur informel, qui vient de remporter le premier prix du “Panafrcan Social Impact Challenge”.
Ce qui rend cette réalisation si représentative de la philosophie d’Aevena Pavilon College, c’est l’équipe qui l’a portée. Il ne s’agit pas d’un seul département, mais d’une alliance interdisciplinaire :
- Awa Traoré (Licence 3, Management International) : La stratège, qui a mené des dizaines d’entretiens sur le terrain.
- Jean-Luc Kouamé (Licence 2, Design Numérique) : Le visionnaire UX/UI de notre studio “Le Pavilon”.
- Emmanuel “Manu” Fofana (Terminale S, Cycle Lycée) : Un prodige du codage de 17 ans, membre de notre “AI Garage”.
L’équipe a commencé par un échec. “Nous avons d’abord essayé de construire une application de comptabilité simplifiée”, admet Awa Traoré. “Mais nous avons vite compris que le problème n’était pas la complexité des chiffres ; c’était l’interface textuelle. Beaucoup de nos interlocuteurs sont plus à l’aise avec la communication orale qu’avec la lecture de menus financiers.”
C’est là que Jean-Luc Kouamé, l’étudiant en design, a pris une décision radicale. “Nous avons jeté à la poubelle l’interface utilisateur standard. Fini les menus déroulants, fini le texte”, explique-t-il. “Nous l’avons remplacée par une interface entièrement iconographique, inspirée des symboles Adinkra, où chaque icône représente une action : ‘stock reçu’, ‘vente’, ‘dépense’.”
Le véritable tour de force est venu d’Emmanuel Fofana, notre lycéen. Comment interagir avec des icônes sans texte ? Par la voix.
“Le défi était immense”, raconte Emmanuel, sous la supervision du Prof. Amadou Bamba Diop. “Les outils de reconnaissance vocale standards ne sont pas calibrés pour les langues ivoiriennes, ni pour l’environnement bruyant d’un marché.”
Pendant des semaines, l’équipe a passé ses après-midis à Adjamé, non pas pour coder, mais pour enregistrer. Ils ont collecté des heures d’échantillons vocaux de commerçants décrivant leurs transactions en dioula et en baoulé. Emmanuel a ensuite utilisé ces données pour affiner un modèle de traitement automatique du langage naturel (NLP) “low-resource”, capable de comprendre des commandes comme “j’ai vendu trois sacs d’attiéké” ou “j’ai payé le livreur de charbon”.
L’application “SôSô” permet donc à un commerçant de parler littéralement à son téléphone, dans sa langue, et de voir ses icônes de stock et de trésorerie se mettre à jour en temps réel, générant un bilan visuel de sa journée.
C’est ce prototype, à la fois technologiquement avancé et profondément humain, qui a été présenté à la finale du “Panafrcan Social Impact Challenge”.
Le Dr. Chidinma Eze, qui a supervisé l’aspect “business model” du projet, tient à tempérer l’enthousiasme, avec une pointe de fierté. “C’est une preuve de concept brillante, mais ce n’est qu’une preuve de concept. Le modèle NLP a encore du mal avec certains dialectes et l’application consomme trop de batterie, un point critique quand l’accès à la recharge est limité. C’est imparfait, mais c’est honnête.”
Cette honnêteté, combinée à l’innovation radicale, a séduit le jury. L’équipe a remporté le grand prix.
L’argent gagné ne servira pas à célébrer, mais à acheter des serveurs plus puissants pour entraîner le modèle linguistique et à financer une étude pilote avec 50 commerçants volontaires. À Aevena Pavilon College, la réussite n’est pas une fin en soi. C’est le début du vrai travail.
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